Canalblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Travailler 2 heures par jour

Chapitre 2 : “Paris-Chèques”


Chapitre 2 : "Paris-Chèques" 

 

Comment je suis arrivée à travailler aux Chèques ? Je suis née en province, dans un milieu très modeste ; pas de travail dans la région ; le lycée s’arrêtait à la philo et les moyens de mes parents ne permettaient pas que j’aille plus loin. La philo, c’était la dernière année que je pouvais m’offrir avant de gagner de l’argent. On trouvait, avec mes frères, que les parents  nous avaient nourris assez longtemps, qu’on était assez grands à 18 ans pour quitter la maison et travailler. Ce n'est pas un choix, c'est une obligation : on fait ce que l’on trouve à l’époque de ses 18 ans. en même temps, on est heureux parce qu’on se dit : “ Je vais voler de mes propres ailes. ”

Tout en étant au lycée, j’avais passé des concours d'administration ; j’ai été reçue à un concours des PTT. J’ai dit à mon frère : “Bon, j’y vais un an pour voir.” J’ai vu, c’était horrible. Je suis entrée en octobre 1956, j’avais 20 ans, et je suis retsée aux Chèques postaux tout le temps ; voilà, j’en suis là, j’en ai 40. Premier contact, ahurissant : une usine avec 10 000 bonnes femmes; j’arrivais d’une petite ville de province où, quand même, tout se fait en regardant les autres... À ce moment-là, il n’y avait aucun accueil, ni logement, ni accueil dans la boite même : vous arriviez avec un petit papier : “vous présenter à telle heure, tel jour” et c’était tout. J’y suis allée, avec ma petite valise; on était 200 ce jour-là à se faire inscrire. On nous a dit : “Vous allez là, tel étage, tel bureau” ; on erre pour trouver où on va, on ne sait pas quel travail on va faire : on se sait rien du tout. Finalement, je suis entrée dans une salle où il y avait 50 personnes qui tapaient sur des machines que je n’avais jamais vues ; il fallait que j’apprenne à taper là-dessus. Et tout d’un coup dans la journée : “Allez hop, tout le monde au tri à l’arrivée.” L’arrivée, c’est là qu’arrivait tout le courrier : une énorme salle où il n’y avait que des bonshommes, et Dieu sait lesquels ; là aussi, c’est un choc terrible parce qu’on se fait traiter de tous les noms, on réalise tout d’un coup qu’on est autre chose que ce qu’on croyait être.

Il fallait trier du courrier, debout toute la journée, de 8 heures du matin à 6 heures du soir, avec une interruption pour déjeuner. On ne savait pas qu’on avait droit à 20 minutes de repos le matin, on ne nous l’avait jamais dit; qu’au bout de 3 mois de présence on avait droit à un jour et demi de repos par mois de présence, on ne nous l’avait pas dit non plus.

Je l’ai appris je ne sais pas trop comment et j’ai dit aux filles : “Écoutez, il ne faut pas se laisser faire, on a droit à ces jours-là, on a droit à la pause.” Le chef a dit : “Ouais, ouais, les pucelles de province...”, vous voyez le ton. j’ai commencé à me bagarrer là-dessus : si on n’ose pas on est vraiment pressuré comme je ne sais pas quoi. On nous cachait les chaises pour qu’on trie plus vite : si on est assis, on ne va pas assez vite.

Au bout de 3 mois, on nous a fait une espèce de formation professionnelle accélérée, simplement pour nous rendre fonctionnelles aux machines, pour que nous ne perdions pas trop de temps. Ensuite, on tapait des chèques à ces machines; toute la journée quasiment, de 8 heures du matin à 6 heures du soir. Le travail, à ce moment-là, était organisé comme ça : on était une équipe de quatre, une fille qui préparait le travail, une autre qui le tapait, une autre qui le pointait et une autre qui remettait les extraits à jour. C’était intéressant parce que cette équipe ne changeait pas.

Avec un peu de chance on pouvait créer des liens d’amitié, apprendre à se bagarrer mieux. C’était plus enrichissant que maintenant ; c’est là que j’ai rencontré des filles, que j’ai fait du syndicalisme.

Dans ma province, j’étais restée très gourde : ma mère est protestante, on allait au culte, c’était la morale chrétienne ; mon père, lui, ne pratiquait pas : un très brave homme qui travaillait beaucoup parce qu’on était quatre enfants et qu’il était ouvrier d’État, ce qui signifiait pas beaucoup de moyens pour vivre. On s’aimait bien, on était une tribu très soudée, on vivait dans une sorte de bulle. D’arriver dans cette espèce d’usine, ce fut un choc terrible. Et c’est un peu de famille que j’ai retrouvée avec cette équipe de quatre, où on s’entendait bien.

Maintenant, il y a l'automatisation et on a des tâches très partielles où on fait toujours la même chose. On a un superbe ordinateur, à qui on prépare un picotin très élaboré en pointant toutes sortes de trucs : il faut que ça soit fait d’une certaine façon, il faut qu’il y ait toutes les virgules, tous les petits zéros, tous les petits machins, c’est complètement crétin comme travail. Pour les filles, c’est à en perdre la tête.  L’ordinateur digère ça et il ressort des choses qu’il faut pointer pendant des heures. On ne peut pas dire que ce soit très enrichissant. On était 12 000, rien que des filles, et maintenant il n’y a plus que 6 000 filles aux chèques, donc la mécanique nous aurait remplacées. Mais l’ordinateur, aussi sophistiqué soit-il, il lui faut des choses tellement élaborées comme nourritures et il sort des trucs tellement sophistiqués... Les filles, avec tous leurs “défauts” : faire des enfants, être malades de temps en temps, etc., faisaient quasiment mieux le travail que l’ordinateur. Et puis on était plus heureuses. À quatre, on pouvait créer des liens d’amitié, même s’engueuler éventuellement si on traînait trop. Chaque groupe traitait les chèques de tel numéro à tel numéro : on nous donnait notre paquet chaque matin et c’était aux quatre femmes qui assumaient la comptabilité totale de la journée pour ce paquet-là. Donc c’était assez chouette :  on se faisait une comptabilité, il fallait qu’on sort des comptes justes, il fallait qu’on trouve nous-mêmes nos erreurs; c’était un travail achevé. On rendait un bilan par groupe et tous les bilans après étaient comptabilisés en un seul bilan. On se disait “si je fais une connerie là, si la copine ne la relève pas, ce soir on est bonnes pour pointer”, ce qui signifiait revoir tout notre travail. C’était une espèce d’autodiscipline mais en même temps on était contentes de faire notre boulot bien ; c’est peut-être féminin ça, je ne sais pas, mais moi j’éprouvais du plaisir à travailler comme ça. Alors que maintenant c’est pas drôle du tout : c’est l’ordinateur qui fait toutes les opérations, tous les calculs. Il faut simplement lui préparer les choses. C’est le travail le plus usant, le plus bête, le plus triste : il n’y a plus d’équipe, chacune a un tas à elle dont elle est responsable. Enfin, moi j’ai une solution assez pratique : je travaille au service des réclamations. C’est quand même beaucoup plus varié, on pique un peu des informations dans tous les services : un client est mécontent, il arrive une lettre, il faut lire, chercher les éléments d’une réponse, redresser une erreur commise ; on fait un peu fonctionner notre matière grise. Je me considère comme privilégiée : je fais un travail personnel. Mais je travaille à mi-temps parce que je trouve que c’est trop bête de passer sa vie à ça.

Les horaires à plein temps ne sont pas énormes : 37 heures. Mais il faut les faire tôt le matin pour préparer le travail et tard le soir pour ranger tout ce que l’ordinateur a digéré. Les filles font 7 heures – 13 heures, le lendemain 13 heures – 19 heures 30, et un jour de la semaine elles font 7 heures – 13 heures, 13 heures 45 – 17 heures 45, ce qui fait une journée assez phénoménale, surtout que la plupart habitent très loin : il y a toujours au moins 2 heures de transport. Ça c’est le problème de toute la région parisienne, mais il n’y a pas de raison d’y être soumis, de le prendre comme une fatalité.

Depuis quelques temps, il y a écrit en gros à tous les étages “perdre sa vie à la gagner” : je trouve ce slogan très vrai, quand je vois les filles, comment elles sont épuisées : beaucoup dans ce service se lèvent à 5 heures, lèvent leurs enfants, vont les porter chez les nourrices... Imaginez : je suis entrée en 56, et si je travaille à plein temps, je gagne 2 800 F par mois. La plupart des filles qui travaillent avec moi ont leur mari aux PTT ou dans des emplois similaires. Le mari gagne à peu près 2 800 F, elles sont obligées de travailler à plein temps si elles veulent un logement : le logement, c’est la préoccupation première de toutes les filles que je côtoie. Il y a des femmes qui vivent seules, qui assument des enfants seules ; avec des salaires comme ça, c’est impossible autrement qu’en travaillant à plein temps, on ne peut pas dire qu’elles aient le choix. Et les 37 heures plus tous les trajets par jour c’est épouvantable, ça fait des vies terribles.

Je considère que je suis privilégiée parce que mon bonhomme gagne un petit peu mieux sa vie que ce que je vous ai dit : il gagne 4 000 F par mois. Quand on a eu le second enfant on s’est dit : “C’est pas le tout de vouloir des enfants, mais si c’est la course, qu’on se rencontre exténués le soir et qu’on a rien à se dire...” Et puis je trouvais ce travail tellement bête. y passer tellement d’heures... Or un loi, sortie en septembre 1971, donne la possibilité de prendre le mi-temps si on a des enfants de moins de 12 ans à la maison. C’est donc une loi qui concerne une catégorie très limitée : beaucoup de personnes aimeraient fait le mi-temps mais ne peuvent pas parce qu’elles n’ont pas les enfants à la maison dans ces conditions. On a pris cette décision en se disant “si on ne peut pas tenir le coup financièrement” parce que l’argent, c’est le seul moteur en fin de compte, “si on ne peut pas tenir le coup financièrement, on reprendra à plein temps”. On fonctionne comme ça depuis quatre ans et demi, moi j’ai 1 400 F, je vais 3 jours par semaine au travail pour 6 heures. Je suis quand même contente d’y aller parce que je suis d’assez près ce qui se passe dans la boîte, ce qui s’y discute : je rencontre des filles des syndicats et d’autres, pour voir ce qu’elles espèrent faire...

Si je suis venue au mi-temps, c’est dans l’idée de pouvoir faire un petit peu autre chose, de réfléchir plus. Et aussi dans l’idée d’avoir une vie de famille différente : quand je travaillais à plein temps, avec un seul enfant, je me levais à 5 heures et demie, je ne me lavais pas, je ne mangeais pas, parce que je me disais “ je vais réveiller tout le monde”, je partais en catimini ; et en finissant à 13 heures, j’étais complètement crevée ; le temps que j’arrive, il était 14 heures, il fallait déjeuner, ça faisait des horaires complètement décalés ;  physiquement ça n’est pas facile à supporter ; ça me rendait plutôt malade, et plein d’autres avec moi.

Tout ça, les gens veulent le nier, il prennent le travail comme une fatalité et supportent tous les aléas avec une résignation phénoménale. Je ne sais pas comment c’est dans un milieu d’hommes, mais dans un milieu de femmes c’est fantastique : elles sont résignées à porter leurs enfants dans des conditions inhumaines, se lever à 5 heures et demie, avec 2 heures ou 2 heures et demie de trajet. La plupart mettent au monde des enfants difficiles à élever tout en travaillant quand même : elles considèrent que ça a toujours été comme ça et que ça ne changera jamais. La démarche que j’avais faite, décider de travailler à mi-temps, quand j’en parle dans mon bureau elles trouvent ça suspect ; à la limite, je suis une paresseuse. “Oui, mais toi tu es folle, toi tu es une anar”, j’ai toutes sortes de qualificatifs sur le dos et je suis assez mal vue au bureau ;  j’inquiète : j’ai l’air de dire que vivre pourrait être un plaisir.

Si vous dites : “Moi, je m’arrête, je ne fais que la moitié du temps : je préfère apprendre à faire autre chose chez moi, et, plutôt qu’acheter des services, assumer ces services-là moi-même, et les partager avec mes enfants ou mon mari”, vous vivez à contre-courant. Si on a une vie différente à la maison, à l’extérieur on pense aussi différemment. Avant d’acheter cette vieille baraque ici, on vivait en “résidence”, dans un appartement. Je travaillais à plein temps pour payer quoi ? Un brave jardinier qui faisait les pelouses, des gens qui s’occupaient de mes ordures... Maintenant j’assume mes ordures moi-même : je pense que le monde ne changera peut-être que quand tous on assumera nos saletés, nos poubelles. Ça aurait été assez simple que dans cette résidence on arrose nous-mêmes nos pelouses, non pas que je veuille enlever le travail aux gens... Mais on payait : on donnait un chèque tous les deux mois et ça nous donnait toutes sortes de gens qui travaillaient pour nous.

Si je me libère du temps d’un travail qui me déplait, je fais autre chose chez moi, qui me remplit plus, pour plus tard, et pour les gens qui m’entourent : j’en apprends plus en lisant des bouquins, ou en allant voir des films. Élever des enfants, c’est quand même essayer d’avoir des choses à leur dire. Si on se lève à 5 heures, on rentre exténuée ;  en vitesse on fait les lits, on fait à manger n’importe comment : les enfants arrivent de l’école, on est complètement crevée... Le lendemain vous commencez à 13 heures, donc vous fonctionnez à toute vitesse pour ranger votre maison. Vous rentrez à 9 heures moins le quart le soir, donc il faut un relais pour s’occuper des enfants, soit une personne soit un père. Mon mari part à 8 heures le matin, il rentre à 7 heures et quart tous les soirs. En rentrant il s’occupait de l’enfant : la toilette, préparer son repas, le coucher, et moi j’arrivais après, je mangeais toute seule. C’est aberrant comme conditions de vie. Moi je le considère comme une agression insupportable en tous cas.

Surtout pour un travail imbécile. Je ne sais pas quelle est la proportion de gens qui font un travail imbécile. Nous, ça n’est pas un travail de force mais c’est un travail idiot, remuer des paperasses sans arrêt... Tout pourrait être plus simple : par exemple en ce moment on passe le plus clair de notre temps à dépister les gens qui font des chèques sans provision. La législation est épouvantable : elle coupe les gens en morceaux sans tenir compte des conditions réelles dans lesquelles ces chèques ont été tirés. Si la grande majorité de ceux qui font des chèques sans provision sont des gens qui ont de très petites professions, c’est peut-être qu’il y a quelque chose qui ne va pas, et c’est peut-être complètement vain de passer des heures à les dépister et à les menacer de toutes les foudres. Quand vous dites ça au travail, vous êtes suspecte à nouveau : j’ai dit : “Moi aussi j’en ai fait, des chèques sans provision. Il y a des jours où on ne peut pas joindre, il n’y a pas de honte. Qu’est-ce que je peux faire ? Me prostituer pour payer ? Non, j’aime autant faire un chèque sans provision et garder mon intégrité” (rire). Je ne crois pas que ce soit complètement imbécile de dire ça.

Il y a beaucoup de filles qui pourraient faire comme moi, réduire leurs horaires. Mais il y a autre chose, que j’ai un peu discerné, c’est que pas mal de filles ne veulent pas assumer leur vie. Le travail, c’est un peu un alibi, une fuite : “comme j’étais au travail je n’ai pas pu faire ça”, je suis passée à côté de quelque chose mais “je n’étais pas là” ; oui, mais peut-être que vivre vraiment c’est justement être là quand il se passe quelque chose. Moi, je me bagarre pour avoir des horaires de travail qui me permettent de lever mes enfants moi-même, de passer la demi-heure du petit déjeuner ensemble, avec leur père, et puis après, bien sûr, chacun part sur ses rails à ses occupations ; mais aussi, quand on a chacun fait notre travail, le soir, se retrouver à une heure telle qu’on ait le temps de faire une partie de dames ou de faire une partie de cartes ; ou d’aller faire le tour du lac ;  ou de faire un thé et des tartines. Alors il paraît que c’est un luxe dans notre condition. Mais qu’est-ce que ça signifie “notre condition” ? Il est sûr que j’ai été élevée sans luxe : mon père me disait “on est modestes, il y a plein de choses auxquelles vous ne pourrez pas prétendre” ; mais les choses auxquelles il pensait ne m’intéressaient pas : avoir trois voitures ou d’avoir une chaîne Hi-Fi d’un million, ça ne m’intéresse pas ; mais ce que je veux, c’est du temps pour vivre réellement, être avec les miens, voir des amis avec qui on parle, avec qui on vit des expériences.

La majorité des gens ne sont pas prêts à ça et revendiquent ce travail comme la valeur première de leur vie. Ils existent par leur travail, par leur paraître, mais il ne pensent pas qu’il y a plein d’autres choses à faire qui ne se voient pas mais qui font qu’on est des êtres humains ; sinon on est quoi ? Des espèces de machins complètement hébétés, vides. Quand je rentre et que je vois la fatigue sur la tête des gens, ça me rend vraiment très malheureuse, je me dis “c’est pas vrai, mais on va arriver à 60 ans complètement usés”.

Les filles au bureau parlaient l’autre jour de la vieillesse : “Moi, je ne veux pas vieillir. – et pourquoi ? – Quand on est vieux, on ne peut plus travailler, on ne peut plus rien faire. – Mais non, je crois que vous avez tort parce que la vieillesse, ça vient chaque jour, il suffit d’y penser, de se dire que ça ne sera pas une cassure complète ;  au contraire, on aura plus de temps pour approfondir ce qu’on a fait. Et puis il faut essayer pas trop éreinté.” Quand on entend à la radio qu’on va donner la retraite à 60 ans à des ouvriers manuels, il faut voir quel travail ils ont fait : ils auront la retraite à 60 ans pour mourir à 61, ou avoir des lésions organiques qui ne leur permettent plus que d’être le derrière dans une chaise à attendre la mort ; je suis peut-être pessimiste, mais je le vois comme ça. Je vois l’état où est mon père : il a eu la retraite à 60 ans mais, comme par hasard, depuis qu’il est en retraite il est sans arrêt opéré. Il a travaillé bien au-delà de ses forces, parce qu’il a voulu qu’on ait une vie différente de lui : il a fait deux métiers pour que ses quatre enfants  fassent un peu d’études. Il n’a existé que par nous : il est aussi d’un milieu très pauvre, où on n’a que sa force physique à donner, donc il faut fonctionner tant qu’on a des forces ; mais il n’a pas rempli sa tête et maintenant qu’il ne peut plus travailler il est au bord de la dépression ; bien qu’il soit fragile il veut quand même travailler encore parce que “ou on travaille, ou on meurt”. Son père, c’était ça : il a travaillé comme un fou et puis il a été malade, il est mort au bout de huit jours. Et mon père ça sera la même chose parce que dans ce milieu pauvre, si on ne travaille plus on est inutile, et les gens vous regardent comme quelque chose qui n’a plus le droit d’exister, vous êtes une bouche à nourrir. Si on a la chance d’être une famille assez unie, vous avez quand même votre place, mais ça aussi, c’est un privilège : comment faire une famille unie quand chacun travaille comme un imbécile et a des difficultés quasi insurmontables pendant quarante années de sa vie ? Quand j’en parlais avec mon père, de ce problème de travail, et que je lui demandais de lire ou de réfléchir, il me disait “mais je n’ai pas le temps” ou bien “je suis trop fatigué”.

J’ai vu rentrer mon père quasiment à la limite de l’évanouissement d’avoir trop travaillé. C’est quelque chose qui frappe. Il était ouvrier d’État à la marine et comme mon père était paysan et qu’il n’avait appris qu’à faire des jardins, il faisait en plus de son travail deux hectares de jardin. Les week-ends il allait cultiver, de 4 heures du matin à la tombée du jour ;  il faisait pousser des artichauts, des haricots demi-secs... En semaine il coupait une demi-tonne d’artichauts entre 4 heures du matin et 7 heures et après il allait au bureau. Le travail, pour moi, ça signifiait quelque chose d’affreux, on en avait très peur. Mon père, je l’ai toujours vu comme un géant : on se disait “papa, il a des muscles terribles”, il était très costaud. Et peut-être le choc que je ressens maintenant c’est qu’il devient fragile, c’est tout un pan de mon enfance qui devient différent...

Mon père nous emmenait au jardin et il nous ramenait, mon frère et moi, sur son vélo, en plus des légumes. J’étais sur le cadre, et j’entends encore le souffle de mon père : il haletait, on disait “papa, descends, on va marcher à pied maintenant” et il disait “non, encore deux ou trois tours parce que maman nous attend”. Ma mère, c’était l’île que je trouvais toujours quand je rentrais, où je pouvais aborder en toute tranquilité. Elle nous a transmis beaucoup ; j’aimerais en faire autant.

J’ai vu mon grand-père travailler beaucoup aussi mais il était heureux lui, parce qu’il était paysan : c’était un contact avec la terre, il y avait quelque chose de gai dans sa démarche. C’était un peu prendre à bras le corps les éléments, la terre ; il rageait quand il y avait des intempéries mais c’était quelque chose de vivant, il était quand même gai : quand on faisait les vendanges, quand on coupait les blés, quand il comptait les sacs, on le voyait heureux. Mon père a ça enraciné au fond de lui et ce n’est pas un hasard si le second travail qu’il ait pris c’est faire pousser des choses, tout aussi rageusement d’ailleurs.

En plus de la fatigue de mon père j’ai vu, dès l’âge de 10 ans, la façon dont il était exploité. Le jardin qu’il cultivait, c’était selon un système qui s’appelait “à moitié”. La terre appartenait à un gros paysan de l’endroit : papa devait ensemencer deux hectares, il payait la moitié des engrais, la moitié des graines et il devait la moitié de la récolte à l’autre homme qui, sans bouger un pouce, recevait ainsi la moitié de la récolte. L’été on allait deux mois à la campagne près de cette terre, comme ça le soir papa pouvait travailler et on l’aidait tous. Eh bien notre nourriture en légumes était pesée, et papa la payait entièrement ! Ça me faisait bouillir, je lui en voulais à ce bonhomme ; comme je ne pouvais pas lui faire front directement je saccageais son jardin : on lui volait des pêches, avec mon frère. Il comptait les fruits des arbres et il nous disait : “Aujourd’hui, il me manque trois pêches”, “aujourd’hui, il me manque un melon”, et mon père payait les fruits manquants ! Alors l’exploitation, ce milieu d’où je viens, ça m’a marquée : et ça n’a pas tellement changé ; quand je vois un type qui possède quelque chose, il est toujours un peu suspect au départ. Il faut vraiment que je le voie de très près pour dire “voyons, est-ce qu’il me considère comme un être humain ou comme une machine à fonctionner qui va lui rapporter tant ?”.

Je crois que pour beaucoup de filles le travail à plein temps est une fuite : elles travaillent pour oublier. Elles ont peur de prendre certaines choses en face, leurs problèmes conjugaux, par exemple. Et de leurs enfants, je crois qu’elles ont un peu peur aussi. Alors, comme on travaille, les enfants vont à des garderies : on paie d’autres personnes pour s’occuper de ses enfants, et c’est peut être un peu dommage. Il y a un côté positif, c’est bon qu’ils aillent dans les garderies, les enfants sont faits pour vivre en société, mais pourquoi faut-il que ce soit pour eux une obligation, comme notre obligation de travailler ? “Je ne suis pas là donc tu dois y aller.” L’enfant n’a pas le choix : il y a des jours où l’on aimerait que sa mère soit là et ça n’est pas possible. Ça aussi, je ne sais pas si on peut appeler ça un luxe, mais je pense que c’est bon d’être près des enfants, qu’ils puissent nous parler au moment où les difficultés apparaissent, qu’on puisse être très réceptifs. Quand on travaille trop, quand on rentre trop fatiguée, quand on ne veut pas entendre, on lui achète un jouet, on l’embrasse, on est câline dix minutes avant qu’il se couche, mais il sait très bien qu’on est fatiguée et qu’on le rejette. Enfin, nos enfants on les a tellement voulus, je ne sais pas si c’est aussi important que je le vois moi, peut-être que je fignole un peu... Travailler moins, ça serait en tous cas aussi la découverte de ses enfants, et c’est quand même chouette. Quand j’en parle avec les filles du bureau, je passe pour quelqu’un qui fignole...

Pouvoir vivre la maladie de ses enfants avec eux : je pense que la maladie c’est une sorte d’appel de l’enfant ;  tout d’un coup il se sent un peu seul, ce n’est peut-être pas tout à fait un hasard qu’il tombe malade. Si on est avec lui et qu’on l’aide à passer ce mauvais moment, je crois que ça tisse des liens qui le rendent plus solide pour plus tard. Si on libère du temps de travail, on peut l’utiliser comme ça. Ça peut vous paraître un détail mais moi je le trouve très important : rester près de lui, lui dire “tu es très malade, tu es très mal mais je t’assure, on va s’en sortir” ;  lui préparer une tisane, un peu de glace sur la tête. Quand je pense à la détresse de beaucoup de jeunes gens maintenant, eh bien je ne sais pas si mes enfants vivront cette détresse adolescents, mais ce que j’essaie de leur donner en ce moment c’est peut-être une espèce de... force. Aujourd’hui les gens ont peur de tout : ils ont peur de la maladie, ils ont peur de la vie, ils ont peur de leurs enfants, peur de la vieillesse... Et cette espèce de peur, de négation des choses simples, me semble affreuse.

Si je vais moins travailler je suis plus près de mes enfants et je les soigne d’une façon complètement différente. L’angine de mon fils, j’ai décidé de la soigner moi-même, sans antibiotiques, avec des médicaments homéopathiques : ça m’est revenu à peu près à 2 F. J’aurais fait venir le médecin, ça faisait déjà 74 F, il y aurait eu une ordonnance d’au moins 40 F, voyez le coût pour la Sécurité sociale. Bien sûr, pour avoir droit à un congé pour soigner mon fils, il me faut un certificat médical signé du médecin : si je dis que je l’ai soigné moi-même, ma parole ne vaut rien. Hier matin, il avait une angine, je suis restée à la maison, j’ai du prendre sur mes congés annuels ;  si j’avais dit “mon fils est malade, je suis restée auprès de lui”, ça ne valait rien. De quel droit, au nom d’un travail imbécile, doit-on se séparer d’un enfant qui a quarante de fièvre, de quel droit ?

De toute façon, j’ai supporté des trucs tellement horribles de la part des médecins que maintenant je n’ai plus confiance en eux : aucun démarche humaine, on devient une espèce de matériel de soin. Le jour où vous réalisez ça vous explosez, vous les envoyez au diable avec leurs instruments. Mais tant que vous souffrez vous ne pouvez pas vous bagarrer, et les médecins profitent de la détresse, de la peur qu’on peut avoir. Ça aussi il faut que ça change, mais pour que ça change, il faut qu’on ait le temps d’y réfléchir, du temps pour remettre tout ça en question.

Quand on aîné était petit, il a fallu que je l’arrache des mains des médecins ; il était hypernerveux et faisait des convulsions. Le pédiatrez qui avait commencé à le soigner était tout jeune. Il a eu très peur du comportement de mon fils et, par anxiété, il l’a fait hospitaliser. À l’hôpital, ils ont commencé à le ligoter comme un dément, alors que cet enfant ne supporte pas du tout la contrainte : j’avais vécu quatre ans les yeux dans les yeux avec lui, je savais ce qu’il lui fallait. Dans la salle d’attente de la consultation de neurologie, il y avait d’autres mères et d’autres pères qui étaient résignés à la maladie de leur enfant, complètement assujettis à la méthode thérapeutique. J’ai discuté avec eux, je leur ai dit : “Votre enfant est peut-être malade, je ne peux pas juger,  je ne suis pas médecin ;  mais vous avez un rôle à jouer, très important, c’est de le considérer comme un autre enfant, de ne pas être pieds et poings liés par ce que vous dit le neurologue.” Un jeune père qui était là, avec une petite fille très perturbée, m’a dit : “C’est vrai, vous avez peut-être raison, mais on a tellement peur de notre enfant qu’on s’en décharge sur ce que va nous dire le neurologue ; on vient là pour se rassurer plus que pour soigner notre enfant.” Ça a cheminé dans ma tête, et je me suis dit “mais sacré bon Dieu, ce petit, c’est à moi de le défendre”, et je me suis mise à me bagarrer. Le neurologue n’était pas content du tout ; il m’a envoyé à la tête que les mères adoptives étaient “outrancières”. J’ai vu rouge, je vous assure que je me suis retenue à quatre d’aller lui flanquer une paire de claques devant ses étudiants ; c’était scandaleux : il voulait me démolir complètement, mais j’avais déjà vécu tellement de truc, Dieu sait ce que l’on endure dans cette situation ; et puis j’étais devant mon fils et je ne pouvais pas me permettre un tel acte devant lui, ça aurait été traumatisant pour lui. J’ai dit : “J’enlève cet enfant et je ne vous le confie plus parce que je n’ai plus confiance en vous.” Ça se passait à la consultation, il y avait une dizaine d’étudiants derrière le neurologue, tout le monde de blanc vêtu : pourquoi ne viennent-ils pas en chemise, pour essayer de dédramatiser un peu les choses ? Mais une partie de leur vie c’est le décorum. Il m’a dit que je prenais des risques fous. Je lui ai dit : “Vous avez le savoir, mais moi j’ai le bon sens et en plus j’ai l’amour pour mon fils que vous n’avez pas.” Il était fou furieux et il m’a dit de sortir. J’ai ajouté : “Telle que je connais la façon dont on poursuit ses études en France, vous avez travaillé, marné comme un fou jusqu’à ce que vous ayez votre diplôme. Après, vous vous êtes marié, vous avez eu des enfants mais vous ne les voyez jamais. Or moi, je vis vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec mon fils.” Il n’a pas aimé du tout ; surtout devant les étudiants qui avaient une tête stupéfaite : ils ne savaient pas quelle attitude prendre. Et pourtant Dieu sait si j’étais malheureuse avec mon gamin qui convulsait depuis vint-quatre heures, qui avait quarante sans qu’on sache pourquoi.

J’ai dû poursuivre le neurologue deux jours pour qu’il me rende mon gamin : deux jours j’ai fait le siège de l’hôpital avec ses vêtements dans un filet. Le premier jour on m’a dit qu’on ne me le rendait pas ; j’ai suivi le neurologue dans le couloir en lui disant : “Vous me rendrez cet enfant. Il n’est pas votre propriété ; non plus la mienne mais vous le faites mourir dans cet hôpital, je veux qu’il sorte.” Il m’a renvoyée, en ricanant devant tous les autres médecins : il faisait sa visite dans les couloirs, lui devant et tous les autres médecins derrière. Il m’a dit qu’il n’avait pas le temps de m’écouter. J’ai dit : “D’accord, je pars pour aujourd’hui mais demain je repars avec mon fils.” Le lendemain j’ai fait le guet dans le couloir, je lui ai dit que je partais, il a signé le billet de sortie, j’ai récupéré mon petit et je ne l’ai plus jamais remis à l’hôpital.

Bien sûr, pendant plusieurs mois j’ai eu drôlement peur, cette espèce de bonhomme m’avait quand même dit : “S’il arrive quelque chose, vous serez responsable.” Alors se dire “et si sa tête craque et que j’en suis responsable...”. Il a régressé, il ne dormait plus, il ne maîtrisait plus du tout ses sphincters. Ça a duré un mois, on a eu peur, tout le monde disait : “il a fait une encéphalite, il est complètement fou” et il n’y a que moi qui ne le croyais pas, heureusement. Au bout d’un mois, il a rouvert des yeux intelligents et c’était passé.

Ça nous entraîne assez loin, cette histoire de travail. C’est que la décision de travailler à mi-temps, c’est une décision qui a des racines un peu dans tous les domaines. Au début, je n’avais pas le choix ; quand je me suis mariée, je ne me posais pas les mêmes questions que maintenant : on avait des difficultés, on vivait dans une chambre de bonne, on s’est dit “il faut absolument qu’on se loge autrement, qu’on trouve un lieu où habiter”. On n’avait pas d’autre solution que de travailler tous les deux à plein temps et d’acheter un appartement. Donc, on a acheté cet appartement et puis on a trouvé que dans cet appartement, on avait un peu une vie assistée, on a voulu changer. Ça s’est fait au moment de mai 68, ce désir de changement a pris toute son acuité quand on a vu sur les murs ce slogan “métro-boulot-dodo”. Ça nous a semblé d’une évidence telle qu’on s’est dit “mais comment a-t-on fait pour ne pas y penser plus tôt ?”. C’était vrai, on ne se rendait pas compte : on se levait, et on partait, comme du bétail, on était programmé. On s’offrait juste une petite fuite, les vacances : on se disait “il faut vraiment s’aérer de toute cette crasse”. Alors pendant un mois, on essayait d’oublier, on mettait des bouquins de côté pour quand on serait en vacances, en fin de compte on était tellement crevés qu’on ne les lisait pas... Quand on a vu ce slogan en gros sur les murs on a dit “mais heureusement qu’ils ont fait ça, sinon on aurait été cons toute notre vie !”, parce que ce désir de changement était sous-jacent mais n’arrivait pas vraiment à notre conscience.  Je me suis mise à me demander si le travail, il était pour nous ou contre nous. Et j’ai trouvé que c’était plutôt contre nous : physiquement  on est épuisée, nerveusement, on est bouffée complètement, et on n’est pas présente là où c’est beaucoup plus important que de manipuler du papier.

En 68, les filles ont fait grève pendant très longtemps, mais il n’y a pas eu tellement de prise de conscience par rapport au travail : il est enraciné dans les filles une telle idée de l’ordre, du travail qui doit être fait, que même pour celles qui ont vécu une prise de conscience, ça n’a tout de même pas été jusqu’à décider de se prendre du temps pour y réfléchir plus. L’impact de l’argent est encore très important : sur une feuille de paie, ça ne fait pas sérieux de travailler à mi-temps. Et puis les syndicats sont contre le mi-temps : la CGT est contre, elle veut plutôt fondre tout le monde dans un même moule, réduire éventuellement les horaires pour tout le monde. Elle considère que si je prends le mi-temps, c’est un privilège parce que mon mari gagne assez pour me fournir l’autre moitié de mon salaire.

Moi aussi j’aimerais qu’on milite pour qu’hommes et femmes fassent moins d’heures, vivent un peu ensemble. Je connais des garçons qui voudraient faire le mi-temps : il y en a un, son rêve c’est de construire sa maison. Il trouve que le travail à mi-temps lui donnerait suffisamment de temps pour construire sa maison. Je ne trouve pas ça bête du tout. Seulement pour l’instant aucun homme ne le fait : si vous ne faites pas vos 40 heures, vous n’êtes pas un homme, dans la société actuelle. C’est peut-être moins oppressant que du temps de mon père mais je vous assure qu’un garçon qui demande à travailler à mi-temps, on le prend pour une femmelette ou un pédé.

J’ai dit à la déléguée syndicale : “Pour réfléchir à tout ça, il faut commencer par avoir du temps”, et elle m’a dit : “Oui, mais toi, tu es une privilégiée parce que ton mari gagne sa vie.” Il “gagne sa vie”, le pauvre, il voudrait bien travailler à mi-temps mais ça n’est pas permis. Déjà il travaillait le samedi, je lui ai dit : “Écoute, tu es tout seul dans ton bureau, je ne vois vraiment pas pourquoi tu y vas. Si tout le monde disait “moi, je ne viens plus le samedi”, qu’est-ce que tu veux qu’il y ait comme parade ? Et même si on te bouffe une part de ton salaire, t’en as rien à faire, reste à la maison.” Maintenant il le fait, on ne lui a pas enlevé son salaire.

Je crois qu’il faut que les gens prennent conscience qu’ils ont une force tranquille. À nous toutes, on représente quelque chose de très fort, le tout c’est d’être ensemble à un même moment.

Mais, il y a cette espèce de résignation, cette fatalité du travail, qu’on ne veut pas remettre en question : je crois que c’est parce qu’on ne veut pas se remettre en question et envisager sa vie autrement, parce qu’on est tout vide, tout creux. Pourtant, trier des papiers, c’est quand même idiot. Dans mon bureau la dactylo râle du matin au soir alors qu’elle tape des avis de non-paiement pour les pauvres gens qui tirent des chèques sans provision (il y a des escrocs, c’est sûr, mais la plupart de ceux qui se font sabrer en ce moment sont des gens modestes). Et elle est hargneuse en plus : “Oh, celui-là, tu te rends compte, il a our tant de chèques sans provision !”

Depuis que je travaille à mi-temps, je me suis dit “je prends mon mardi pour moi” parce que je veux lire, je veux aller voir des films. Mon mardi, j’y tiens beaucoup, c’est mon kif, comme on dit en Afrique du Nord. C’est peut-être un luxe mais je trouve que pour 1 400 F, ça ne vaut pas le coup de se déplacer pour travailler. Et j’ai pris un tel goût à avoir un peu de temps, à faire les choses différemment. En général, je programme mon mardi, je vais voir un film, ou une exposition, ou simplement je reste chez moi, je lis.

Les filles au bureau me disent : “Mais qu’est-ce que je ferais d’un jour de libre ? Moi je ne sais pas aller au cinéma toute seule.” Ça me semble énorme, cet aveu. Alors comment voulez-vous qu’elles s’en sortent ? Elles sont à la remorque de leur travail, c’est le travail qui les mène. Pour elles, si je ne suis pas chez moi, si je ne suis pas au travail, je suis forcément à draguer dans les rues. Si vous n’êtes pas dans des lieux définis, c’est forcément ça. Aller la truffe à l’air pour simplement rencontrer des gens : vous prenez un café, à côté de vous il y a quelqu’un qui a envie de parler, qui peut avoir vécu une expérience très chouette, et puis ça se termine là. C’est ça la vie. Ou écouter un type qui joue du jazz dans la rue, c’est un plaisir. Elles ont perdu même le sens du plaisir, le sens de la joie : on refoule des joies et après, le week-end, on se pinte ou on fonce dans sa petite auto vers je ne sais trop quoi, éventuellement se foutre en l’air...


Cl. B.


< Chapitre 1

Chapitre 3 >

Publicité
Publicité
Publicité